L'activité R&D menée sur les perturbateurs endocriniens

Depuis 2008, l’OFB soutient des opérateurs de la recherche finalisée qui travaillent sur la problématique de la contamination de l’eau et des milieux aquatiques par des substances chimiques ayant des propriétés de perturbation endocrinienne (PE). Point d'étape en 2021.

Les projets soutenus par l'OFB s’inscrivent d’une part dans une démarche d’amélioration des méthodes de surveillance et des critères d’évaluation de l’état des eaux de surface dans le contexte de mise en œuvre de la Directive cadre sur l'eau (DCE).

D’autre part, ils contribuent à différents plans et stratégies ministérielles, comme le plan Micropolluants 2016-2021 (actions 29, 34 et 37) ou l’axe « Protéger l’environnement et la population » (actions 24, 25, 27, 28,29) de la 2e stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE 2).

Principaux objectifs

  • Mettre au point et évaluer les performances des méthodes de bio-analyse permettant de détecter et de quantifier des activités de type PE dans des matrices environnementales ou des rejets
  • Mieux connaître les PE présents dans les rejets urbains et l’imprégnation des milieux aquatiques
  • Mieux prendre en compte le caractère PE des substances chimiques dans la construction de leurs normes de qualité environnementale (NQE) et de leurs valeurs guides environnementales (VGE)
  • Contribuer au développement des connaissances des effets des PE sur la faune sauvage.

Synthèse des objectifs opérationnels des projets et rapports associés

Mise au point des outils bio-analytiques pour mesurer l’activité endocrine et évaluation de leurs performances

Les méthodes et critères actuellement utilisés pour évaluer l’état des milieux aquatiques ne rendent que partiellement compte du « risque chimique », pour deux raisons :

  • seule une fraction des contaminants présents dans l’environnement sont recherchés et mesurés (soit ceux relevant de la liste finie de substances à enjeu réglementaire),
  • les effets de la combinaison de ces substances et de leurs produits de transformation au sein de mélanges ne sont pas pris en compte.
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Les outils biologiques peuvent être définis comme l’ensemble des méthodes permettant de déterminer de manière qualitative ou quantitative un effet biologique plus ou moins spécifique chez un organisme entier ou une partie de cet organisme (macromolécules, cellules, tissus/organes) en réponse à une exposition à un ou plusieurs contaminants chimiques.

Leur utilisation peut fournir des informations nouvelles dans l’évaluation de la qualité chimique des milieux, tant du point de vue de la caractérisation des contaminants d’intérêt (éco)toxicologique (par exemple, criblage à haut débit d’activités PE dans des échantillons environnementaux à l’aide de bioessais in vitro), que de leurs impacts à l’échelle de l’organisme au laboratoire (bioessais in vivo) ou dans le milieu naturel (biomarqueurs sur espèces autochtones).

 

Les outils biologiques mesurés à différents niveaux d’organisation et leurs caractéristiques
(d’après Braunbeck, 1993 et Kase et al., 2009)

Intégrés aux programmes de surveillance, ces outils permettent :

  • de détecter l’activité de substances chimiques qui ne sont pas recherchées dans le cadre des suivis réglementaires et qui partagent des modes d’action communs,
  • de mesurer des réponses biologiques précoces (moléculaires, cellulaires, physiologiques) plus ou moins spécifiques, permettant d’anticiper des effets à des niveaux d’organisation biologique supérieurs,
  • d’identifier les causes de la dégradation du milieu en utilisant une approche bio-analytique guidée par les effets (effect-directed analysis - EDA), permettant d’expliquer d’éventuelles incohérences entre état chimique et état écologique.

Rapport final Surveillance prospective : apport des bioessais pour l’évaluation de la qualité chimique des milieux aquatiques (2020)

Dans le cas plus particulier des PE œstrogéno-mimétiques, différents outils biologiques in vitro sont actuellement disponibles pour répondre aux enjeux de mise en œuvre de la liste de vigilance européenne, introduite dans la Directive 2013/39/UE, dans laquelle figurent notamment trois hormones (éthinylestradiol EE2, estradiol E2, estrone E1). Si les différents tests existants sont valides du point de vue biologique et sont a priori équivalents en termes de spécificité (mais pas de sensibilité), il existe aujourd’hui un besoin d’harmonisation des méthodes employées pour leur application à la détection de EE2, E2 et E1 dans des échantillons environnementaux. Dans ce contexte, l’OFB soutient depuis 2014 une action menée par l’Ineris dans le cadre du partenariat OFB-AQUAREF, dont l’ambition est de contribuer à la validation d’une méthodologie d’évaluation d’œstrogènes-équivalents au sein de matrices environnementales complexes à l’aide de bioessais in vitro.

Un état de l’art des méthodes actuellement utilisées pour mesurer le potentiel œstrogénique de matrices environnementales de type sédiment, effluent, eau de surface, est disponible. Il présente les grands principes de la méthodologie et identifie les étapes techniques clés qui peuvent être sources de variabilité entre laboratoires, dans la perspective d’un futur développement normatif.

Rapport final Validation de la mesure de l'activité oestrogénique dans les matrices environnementales (2015)

Les performances relatives de ces bioessais in vitro, en termes de sensibilité, de précision et de robustesse, sont également comparées dans le cadre d’un essai inter-laboratoire impliquant plusieurs partenaires européens, à partir d’échantillons d’eau de surface et de rejets provenant de 7 États membres de l’UE (cf. Norman Network Bulletin). La participation de l’Ineris à cette activité est assurée, pour partie, par un financement de l’OFB.

Rapport final Contribution à la validation de la mesure de l’activité oestrogénique in vitro dans les eaux de surface et les eaux usées (2018)

La quantification des activités biologiques à l’aide des bioessais in vitro soulève la question du seuil de significativité de ces réponses vis-à-vis d’un effet potentiel à un niveau supérieur d’organisation biologique (i.e., impact sur les organismes entiers) et, à plus long terme, d’un risque pour l’environnement. Des valeurs seuils spécifiques (effect-based trigger values - EBT) ont été récemment proposées pour une série de bioessais in vitro (ER-CALUX, MELN, GeneBLAzer, Hela-9903, pYES) pour la mesure de l’activité œstrogénique dans l’eau, à partir de la mise en relation de données expérimentales acquises en parallèle sur ces modèles cellulaires et sur le bioessai in vivo EASZY basé sur une lignée transgénique de poisson zèbre répondant spécifiquement aux activateurs du récepteur des œstrogènes.

Monitoring estrogenic activities of waste and surface waters using a novel in vivo zebrafish embryonic (EASZY) assay: Comparison with in vitro cell-based assays and determination of effect-based trigger values (2019)

Imprégnation des milieux aquatiques par des PE avérés ou suspectés

Les stations de traitement des eaux usées (STEU) urbaines sont une des principales voies d’entrée des perturbateurs endocriniens dans les milieux aquatiques.

Dans le cadre du plan Micropolluants 2016-2021, une 3e campagne de mesure des micropolluants dans les rejets de stations de traitement des eaux usées urbaines (RSDE STEU 3) a été réalisée entre 2017 et 2020, à partir de près de 40 000 séries de mesures en entrée et en sortie de station pour 476 STEU de capacité nominale de traitement de plus de 10 000 équivalent-habitant (EH). L’exploitation de cette campagne a permis d’identifier la présence de PE avérés dans une large proportion des eaux usées en entrée (DEHP à 95 %, les nonylphénols à 57 %, le BaP à 39 %, les octylphénols à 25 %) et en sortie de station (DEHP à 26 %).

Rapport Substances dangereuses pour le milieu aquatique dans les rejets des stations d'épuration urbaines (2021)

Dans le cadre de l’étude prospective 2012 de recherche de contaminants émergents dans les eaux de surface de métropole et des DOM, des outils biologiques développés par l’Ineris (bioessais in vitro et in vivo) ont été appliqués sur des échantillons d’eau (extraits de POCIS) et de sédiments pour établir le « profil toxicologique » de ces échantillons (toxicity profiling), à partir de la détection de différentes activités biologiques de type PE (activités œstrogénique, androgénique et anti-androgénique, glucocorticoïde). Des poissons ont également été prélevés sur un sous-ensemble de sites pour la mesure de deux biomarqueurs (vitellogénine circulante et intersexualité) indiquant les effets sur la santé des organismes d’une exposition à des perturbateurs endocriniens.

Sur la base de cette étude, différentes préconisations ont été formulées pour utiliser ces outils dans une démarche globale de caractérisation de la contamination chimique des milieux par les PE.

Rapport final Etude prospective 2012 : apport des outils biologiques (bioessais et biomarqueurs) pour le diagnostic de la contamination des milieux aquatiques (2014)

Le criblage systématique de 120 sédiments prélevés dans le cadre de l’étude prospective révèle une contamination généralisée des cours d’eau de métropole par des composés chimiques de type PE, avec des niveaux moyens observés généralement comparables à ceux rapportés pour d’autres cours d’eau en Europe. Ces outils bio-analytiques présentent également un intérêt pour orienter l’identification chimique des polluants responsables des effets observés, soit par des analyses chimiques ciblées et une approche de type « bilan de masse » pour évaluer la contribution des polluants prioritaires, ou via l’application d’une approche EDA, pour isoler les contaminants actifs majoritaires en vue de leur identification par analyses chimiques non ciblées. Ces approches ont notamment permis d’identifier une série de molécules candidates sur la base d’une activité glucocorticoïde (GR).

Rapport final Démarche bio-analytique pour l’identification de polluants émergents dans les milieux aquatiques – Application aux sédiments de l’étude prospective (2015)

Ces mêmes approches ont été appliquées pour caractériser la toxicité des eaux usées en différents points du réseau de collecte jusqu’en sortie de station de traitement (STEU), sur le territoire de l’agglomération de Valbonne-Sophia-Antipolis, dans le cadre du projet Micropolis-Indicateurs, lauréat de l’appel à projets « Micropolluants dans les eaux urbaines » lancé en 2013 par l’OFB et les agences de l’eau.

Rapport Micropolis Indicateurs - Caractérisation de la toxicité des eaux usées à Sophia Antipolis (2018)

Rapport Micropolis Indicateurs - Recherche de l’identité des contaminants actifs dans les échantillons par l’analyse dirigée par l’effet (2018)

Prise en compte du caractère PE des substances chimiques dans l’élaboration des critères de qualité des eaux

Une étude portant sur la prise en compte des effets PE dans la construction des normes de qualité environnementale (NQE) et des valeurs guides environnementales (VGE) est en cours dans le cadre du partenariat OFB-Ineris, pour répondre aux objectifs de la DCE. Un examen de près de 190 dossiers NQE/VGE de substances chimiques à enjeu (SP/SDP, PSEE, SPAS…) montre que, pour une soixantaine d’entre elles considérées comme des PE avérés ou potentiels, cet effet n’est pas pris en compte dans le processus d’élaboration de la norme (soit par la sélection de réponses biologiques caractéristiques d’un effet PE dans le jeu de données (éco)toxicologiques utilisé pour le calcul de la NQE, ou le recours à un facteur de sécurité supplémentaire abaissant la NQE en application du principe de précaution).

Rapport Vers une meilleure prise en compte de la perturbation endocrine dans la détermination des NQE – Phase I (2018)

Le travail de l’Ineris s’est poursuivi avec une étude de cas consistant à évaluer l’impact de l’intégration des éléments de preuves définis dans le guide ECHA/EFSA (2018), i.e. données issues de tests in silico, données d’essais in vitro et in vivo renseignant sur des mécanismes endocriniens, données d’essais in vivo mettant en évidence des effets néfastes liés à des perturbations des axes EATS sur des parties plus ou moins étendues du cycle de vie des organismes aquatiques et des mammifères, sur la valeur de la NQE du tébuconazole, un fongicide azolé d’usage courant.

Rapport Vers une meilleure prise en compte de la perturbation endocrine dans les NQE – Phase II (2021)

Au travers d’un logigramme faisant appel à des données disponibles dans les dossiers réglementaires d’évaluation des substances et issues de la littérature scientifique, une démarche est proposée par l’Ineris afin de mieux tenir compte des propriétés de perturbation endocrinienne d’une substance dans la détermination de ses normes de qualité spécifiques QSwater,eco et QSbiota,secpois. La version finale de ce document sera disponible d’ici fin 2021.

Rapport Vers une meilleure prise en compte de la perturbation endocrine dans les NQE - Phase III (2021)

Développement des connaissances des effets des PE sur la faune sauvage

Une conséquence possible de l’exposition des poissons à certains PE est l’apparition d’individus intersexués. L’intersexualité désigne la coexistence de tissus gonadiques mâle et femelle chez des espèces gonochoriques (c’est-à-dire pour lesquelles les individus sont soit mâles, soit femelles et ne changent pas de sexe durant leur vie).

L’intersexualité peut mener à une diminution du succès reproducteur et (ultimement) à l’effondrement local de populations de poissons. Les observations sur le terrain, en particulier chez le gardon, suggèrent une implication de substances œstrogéniques et anti-androgéniques dans l’apparition du phénomène d’intersexualité, conséquence d’une « féminisation » des mâles. De façon à pouvoir interpréter correctement les résultats des études d’intersexualité, AQUAREF a proposé un cadre conceptuel pour la validation de ce biomarqueur, première étape nécessaire avant le développement d’une norme.

Rapport final Mesure de l’intersexualité chez le poisson (2015)

Depuis 2011, l’Ineris travaille à la réalisation d’une cartographie nationale de l’intersexualité des poissons de rivière avec l’appui des services territoriaux de l’OFB. Sur chacun des 237 sites étudiés, entre 20 et 30 poissons sexuellement matures d’une même espèce (goujon, gardon, vairon, chevaine) sont prélevés et acheminés au laboratoire pour la préparation de coupes histologiques fines des gonades, permettant la mesure de l’intersexualité (en matière d’occurrence et de sévérité).

Les données acquises dans le cadre de cette étude montrent la présence d’individus présentant des ovotestis (gonade présentant à la fois les caractéristiques d’un testicule et d’un ovaire) sur plusieurs sites dans des proportions variant entre 0 et 55 % de la population échantillonnée, et que la sensibilité à l’intersexualité varie selon l’espèce considérée. Certaines des populations échantillonnées présentaient également un sexe-ratio biaisé en faveur des femelles.

Rapport Étude nationale de l’intersexualité des cyprinidés dans les cours d’eau de métropole (2019)

Au niveau des sites présentant un indice global d’intersexualité élevé combinant données d’occurrence et indice de sévérité de l’ovotestis, des investigations complémentaires sont menées en 2021 pour tenter d’identifier des pressions et sources de pollution contribuant significativement au phénomène, avec :

  • d’une part, la mise en relation des réponses du biomarqueur avec des données d’occupation du sol des bassins versant de ces sites,
  • d’autre part, l’utilisation d’approches bio-analytiques pour détecter et quantifier des polluants de type PE capables d’interférer avec les récepteurs des hormones stéroïdiennes (récepteurs aux œstrogènes, androgènes, glucocorticoïdes, etc.) et de perturber les processus physiologiques régulés par ces hormones.


 

Une enquête pour identifier les manques de connaissances des effets des PE sur la faune sauvage

Dans le cadre de la SNPE 2, l’OFB a réalisé un travail d’enquête auprès des acteurs de la recherche à partir d’entretiens semi-directifs menés entre janvier et mars 2021, visant à identifier les lacunes dans les connaissances environnementales sur les PE et de leurs effets sur les espèces animales non domestiques, en lien avec :

  • les mécanismes de perturbation endocrinienne et les effets qui en découlent à différents niveaux d’organisation biologique, et notamment les connaissances des effets sur les animaux sauvages,
  • la contamination des milieux et l’imprégnation de la faune à des PE,
  • la bio-surveillance, c’est-à-dire le suivi de la contamination des milieux à travers la détection de ses effets sur des systèmes biologiques,
  • les méthodes réglementaires d’évaluation des propriétés des substances en matière de perturbation endocrinienne.

Rapport (à venir)

À terme, ce travail d’enquête sera complété par la réalisation d’une carte systématique présentant l’état de la littérature scientifique récente (2010-2020) sur le sujet, à partir d’une série d’indicateurs décrivant le corpus de littérature constitué.

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