[Programme R&D] Fréquentation humaine et biodiversité

Données du projet
Structure(s) porteuse(s)
Office français de la biodiversité (OFB)
Date de début
2020
Mise à jour

Les loisirs en nature font partie des activités humaines entraînant différentes pressions sur la biodiversité, avec des impacts en cascade sur les écosystèmes. L'étude de ces effets conjugués, voire simultanés, et de leur dynamique est nécessaire pour réussir à concilier ces pratiques avec la préservation des écosystèmes. Ce programme de recherche et développement (R&D) de l'OFB se concentre sur l'aspect fréquentation touristique dans un cadre particulièrement sensible : des "espèces modèles" en montagne. Les résultats attendus sont méthodologiques (protocoles de suivi) et/ou écologiques sur les impacts.

Contexte : des impacts aux mécanismes complexes sur des espaces montagnards sensibles et en évolution

En quoi mieux connaître ces mécanismes est-il à la fois difficile et indispensable ?

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Sentiers balisés d'altitude, à 2020m dans le parc national de la Vanoise (Benjamin Guichard, OFB)

Les pressions liées aux activités humaines, qu’elles s’expriment à large échelle (dérèglement climatique) ou plus localement (activités agricoles, récréatives), sont susceptibles de modifier la distribution des espèces et la dynamique de leurs populations, de même que certains facteurs biophysiques (disponibilité en ressources, habitats…) et d’avoir ainsi en cascade des effets sur les écosystèmes.

Jusqu’à aujourd’hui, peu d'études ont analysé les effets conjoints, voire simultanés, de ces pressions. L’importance relative des différentes pressions et leurs effets conjugués sont difficile à identifier et à évaluer.
Or appréhender cette dynamique complexe de façon systémique est nécessaire pour déployer des politiques de gestion visant à mieux partager les espaces naturels, passant par l'adaptation mutuelle des espèces, humaine comprise.

    Pourquoi choisir la montagne comme terrain d'étude et certaines espèces spécifiquement ?

    Les espaces montagnards sont des environnements qui abritent une grande variété d’écosystèmes et de biodiversité. Les variations climatiques d’un étage altitudinal à l’autre et d’un versant à l’autre, et jusqu’il y a peu la relative tranquillité vis-à-vis des humains, ont contribué à cette richesse. Aussi, les effets cumulés et l’interaction entre les différentes pressions liées aux activités humaines sont attendus particulièrement marquants.

    Des aléas climatiques amplifiés sur des espaces soumis à une forte évolution de la fréquentation

    Les changements globaux sont plus intenses en montagne : l’atmosphère s’y réchauffe 2 à 3 fois plus vite que pour le reste du globe. Et les contraintes environnementales sont amplifiées, par exemple la forte saisonnalité. En réponse les espèces qui y vivent développent des adaptations uniques, qui pourraient limiter leur capacité à faire face aux changements rapides en cours. La montagne constitue ainsi un espace privilégié pour étudier et anticiper les conséquences du réchauffement climatique à l’échelle planétaire.

    La montagne est un espace en pleine mutation avec une accélération du développement des activités récréatives. D’une représentation du sauvage, de l’inaccessible, la montagne prend de plus en plus l’image d’un immense terrain de jeux. Les activités en nature sont de plus en plus populaires (Balmford et al. 2009, Winter et al. 2020). En France, le contexte de la crise sanitaire y a participé, accentuant particulièrement cet usage en montagne (Joly 2020). Par conséquent, outre la randonnée qui reste la 1re activité, d'autres comme le trail se développent rapidement, et particulièrement sans encadrement ou affiliation à une fédération. L'emprise spatiale et temporelle induite est ainsi importante.

    La présence d'espaces protégés, lieux de suivis et travaux scientifiques

    La montagne abrite de nombreux espaces protégés. Ils ont pour mission de documenter et mieux comprendre les pressions auxquelles les espèces et milieux doivent faire face, afin d’adapter régulièrement leur mesures de gestion.
    Ces zones sont généralement mieux connues que les autres, grâce aux suivis récurrents et évaluations menées sur la conservation et la gestion, et à leur utilisation intéressante comme terrains d'expérimentation.

      Un programme R&D en réponse aux besoins des acteurs et gestionnaires : évaluer les pressions pour coexister durablement

      À travers ce programme R&D, l'OFB et ses partenaires ont pour objectif de fournir des outils d’évaluation et des informations nécessaires à la gestion et à cette coexistence. Cela passe notamment par le développement de connaissances dans le domaine de l’écologie comportementale, pour comprendre la réponse des espèces aux pressions humaines liées à l’accroissement des activités récréatives et touristiques. Les résultats attendus doivent aider à une meilleure appropriation et prise en compte des enjeux de conservation de la biodiversité.

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      Randonneurs sur les lacs des sept Laux, massif de Belledonne (Daniel Coutelier, Terra)

      Gestionnaires d'espaces naturels et acteurs économiques se retrouvent autour d'enjeux communs pour réussir la cohabitation :

      • la compréhension des mécanismes de perturbations et dégradations sur la biodiversité de ces évolutions,
      • et l’identification de solutions pour une coexistence durable.

      Objectif : produire des méthodes et connaissances utiles à la gestion de cette cohabitation

      Les résultats attendus doivent permettre aux très nombreux gestionnaires d'aires protégées (parcs nationaux, parcs naturels régionaux, réserves naturelles...) ou autres espaces naturels de :

      • disposer d’outils/protocoles pour :
        • mesurer les flux et les modalités de ces pratiques : horaires, lieux départs/arrivées des pratiquants, pauses…,
        • caractériser les profils des pratiquants : origines géographiques, profils socio-économiques, sources d’information, connaissances de la réglementation, motivations et ressentis quant à leurs pratiques,
        • caractériser l’impact de ces pratiques sur le comportement et la démographie des espèces concernées ;
      • cartographier les zones à enjeux afin de :
        • quantifier la part d’habitat soustraite et/ou dégradée par les activités humaines pour les espèces impactées,
        • identifier des habitats refuges pour ces dernières,
        • ou au contraire identifier des habitats qui doivent « supporter » une redistribution des espèces suite à leur dérangement (par exemple habitats forestiers ou pelouses alpines à fortes valeurs économique/écologique).

      Ces informations sont en effet indispensables pour identifier, dimensionner puis mettre en place et/ou évaluer les mesures de gestion les plus à même de concilier activités récréatives et biodiversité.
      Par exemple : sensibilisation, canalisation des flux, interdiction de certaines activités à certains endroits et/ou certaines périodes, etc.

      À noter : le détail des objectifs et résultats est disponible spécifiquement pour chaque thématique de projets ci-dessous.

      Périmètre et méthodologies des projets

      Les projets au sein ce programme portent sur des espèces-modèles, afin d'étudier les impacts subis et les aptitudes de ces espèces à développer des stratégies comportementales susceptibles d’en atténuer les effets.

      Un choix méthodologique : l'approche par espèces-modèles

      L'approche par espèce-modèle utilise une ou un petit nombre d'espèces pour étudier le fonctionnement d'un écosystème ou tout au moins d'un compartiment de cet écosystème. Le principe : se concentrer sur des espèces spécifiques dont l’étude de la dynamique permet d’appréhender les conséquences des pressions qui s’exercent sur l’ensemble des espèces d’un écosystème donné. En effet :

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        Une marmotte observée à proximité d'un téléski en Savoie (Audrey Poiteaux-Gandossi, OFB)
        elles ont une propriété intrinsèque ou un rôle particulier dans l'écosystème : espèces clés, espèces ingénieures, keystone species...,
      • ou sont très sensibles à tel ou tel changement de fonctionnement : espèces indicatrices, espèces parapluie, flagship species...

      Ce choix peut également résulter d'aspects plus pratiques et/ou historiques :

      • si le travail est plus facile ou uniquement possible sur ce petit nombre d'espèces,
      • en présence de données antérieures ou études complémentaires qui permettent d'articuler et augmenter la portée des résultats.
        Exemple des ongulés de montagne : l’OFB bénéficie de territoires d’études sur 40 à 50 ans, qui permettent d’appréhender ces questions à long terme, comme observer scientifiquement les conséquences du changement climatique.

      Détail du périmètre et des méthodes mises en oeuvre dans les projets

      Sites d’études

      • RNCFS des Bauges (73-74), de Belledonne (38), du Caroux-Espinouse (34), d’Orlu (09),
      • Plateau de Bure (05)
      • Domaines skiables en savoie (3  vallées les Arcs ,Valcenis), dans les Htes Alpes (Risoul-Vars-Crévoux ,  Dévoluy)
      • Réserve naturelle de Sixt-Fer à Cheval (74)

      Méthodes/outils utilisés

      • Enquêtes et interviews (Bauges, Belledonne et Dévoluy)
      • Pièges photos, et traitement manuel puis automatisé par IA (Bauges, Belledonne, Caroux),
      • éco-compteurs (Bauges/Belledonne/Orlu) et observations/compteurs (Dévoluy)
      • Suivi GPS des pratiquants/animaux (Bauges, Belledonne, Caroux, Dévoluy)
      • Mobilisation d’informations géographiques volontaires (OpenStreetMap, Strava,...)
      • Capture-marquage-recapture pour le recueil des paramètres démographiques
      • Données de "performance" sur animaux prélevés à la chasse
      • Données de régime alimentaire par métabacoding

      Des projets structurés par action, espèce ou milieu concerné

      1. Caractériser les activités récréatives

      Questions à l'étude

      • Qui sont les pratiquants (origine géographique, profils socio-économiques) ?
      • Quelles sont leurs motivations et leurs ressentis par rapport à leur activité et la biodiversité ?
      • Sur quelle base et comment se répartissent-ils dans l’espace et dans le temps ?
      • Comment mesurer leur présence et leurs déplacements ?
      • Quelle acceptation des mesures de gestion envisageables sur les sites ?

      Finalités opérationnelles : outils et connaissances pour les gestionnaires

      • Protocoles et outils d’évaluation des flux et des modalités des pratiques : objectiver/cartographier la pratique, sa répartition spatiale et temporelle.
      • Connaissances quant aux profils, sources d’information, motivations et ressentis des pratiquants : identifier les moyens de les sensibiliser/mobiliser face aux enjeux environnementaux.
      • Informations pouvant orienter concrètement la mise en place de mesures de gestion concrètes ou permettre d’évaluer celles en place : sensibilisation/mobilisation, canalisation des flux, activités/modalités/périodes interdites, etc.

      Résultats

      • Eveillard-Bouchoux, M & Garel, M. 2022. Essai de caractérisation de la fréquentation récréative en montagne : croisement des méthodes, tendances et état des lieux. Application au massif de Belledonne. Publication en préparation pour la revue de géographie alpine.

      Références de partenaires

      2. Impacts sur les ongulés de montagne

      Finalités opérationnelles des 2 sous-projet : impacts comportementaux et impacts démographiques

      • Acquérir des connaissances sur l’influence des activités récréatives et des infrastructures associées sur le comportement de la faune sauvage (espèces modèles : ongulés sauvages).
      • Identifier le cas échéant des habitats refuges qui permettent/tamponnent la réponse comportementale de l’espèce, et cartographier cette réponse vis-à-vis du risque, pour informer les plans d’aménagement du territoire.
      • Identifier les conséquences induites par ces changements comportementaux peuvant redistribuer spatialement et temporellement les individus et les fonctions qui les caractérisent au sein de l’écosystème (par exemple herbivorie dans des habitats à enjeux).
      • Fournir aux gestionnaires d’espaces, d’espèces et aux pratiquants des informations objectives sur le sujet afin de pouvoir les sensibiliser sur les effets de leur pratique.

      Résultats : approche par type de dérangement / activité

      Références de partenaires

      Résultats : approche par espèce

      Mouflon de Corse

      Mouflon méditerranéen

      Chamois

      Bouquetin des Alpes

      3. Impacts sur écosystèmes rocheux d’altitude

      Les écosystèmes rocheux de montagne sont des écosystèmes complexes de haute valeur conservatoire car ils englobent une grande diversité d'habitats à petite échelle grâce à une grande diversité topographique et climatique dans des gradients d'altitude resserrés. Le travail porte sur des compartiments dépendants les uns des autres, pour identifier les effets directs sur une espèce ou une communauté, mais aussi indirects via un autre compartiment. L'objectif est de mieux comprendre l’influence des usages récréatifs estivaux sur la biodiversité des écosystèmes rocheux alpins, et spécifiquement l’impact de la randonnée pédestre et du trail.

      Questions à l'étude

      • Quelle est la réponse au piétinement des usagers :
        • des communautés végétales ?
        • des communautés d’invertébrés ?
      • Quelle est la réponse de la population de Lagopède alpin à la fréquentation ?

      Zoom sur le cas d'une espèce-modèle : le Lagopède alpin

      Le Lagopède alpin est une espèce emblématique des milieux de haute altitude, étudiée depuis longtemps à l’OFB. L'espèce est de plus en plus confrontée à la fréquentation humaine en été lors de sa période de reproduction, or son succès reproducteur est très faible. Les populations ne sont pas en bonne santé : il y a donc un enjeu direct.
      Des balises GPS permettent d'étudier : déplacement, budget temps et comportements d’évitements.

      De plus, le lagopède mange des végétaux, et leurs poussins consomment des invertébrés les premières semaines de leur vie. Et ces communautés d’invertébrés et végétales sont interdépendantes via les régimes alimentaires, la pollinisation, etc. Ainsi leur piétinement peut entraîner également des impacts indirects.

      À noter : Le lièvre variable et le lagopède alpin face au changement climatique, projet 2022 présentant des résultats touchant cette espèce-modèle.

      Références (travaux OFB en cours)

      • Leote, P., Cajaiba, R. L., Moreira, H., Gabriel, R., & Santos, M. (2022). The importance of invertebrates in assessing the ecological impacts of hiking trails: A review of its role as indicators and recommendations for future research. Ecological Indicators, 137, 108741.
      • Kamel, M. (2020). Impact of hiking trails on the diversity of flower-visiting insects in Wadi Telah, St. Katherine protectorate, Egypt. The Journal of Basic and Applied Zoology, 81(1), 1-13.
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      Traces de ski illustrant la fréquentation hivernale pouvant entraîner du dérangement hivernal pour le Tétras-lyre, massif de Belledonne (Isabelle Losinger, OFB)

      4. Impacts sur les populations de galliformes de montagne

      L’hiver est une saison qui impose aux galliformes de développer des comportements adaptés pour faire face aux basses températures et à l'alimentation de faible qualité : réduction de l’activité, création d'igloos... Dans ces conditions, la fréquentation humaine entraîne probablement une réponse comportementale, liée aux mouvements de fuite et/ou d’évitement.

      Les galliformes suscitent beaucoup d'intérêt sous différents aspects :

      • culturels, esthétiques et émotionnels : comportement spectaculaire, beauté, espèce gibier d'exception, source de protéine ou économique...,
      • scientifiques, où la motivation des recherches part souvent du constat du déclin voire de disparition. Par ailleurs, de nombreux domaines de l'écologie doivent leurs doivent leurs avancées : dynamique des populations cycliques, rôle des parasites dans le fonctionnement des population, rôle de la sélection sexuelle dans l'évolution des systèmes d'appariement en écologie évolutive, etc.

      Toute recherche en dynamique des populations s'intéresse aux facteurs qui contrôlent/influencent les paramètres démographiques clés (mortalité et fécondité). Il s'agit d'estimer l'importance de la mortalité, mais aussi de déterminer les causes intrinsèques ou extrinsèques, directes ou indirectes. Pour des espèces peu longévives et de surcroît prédatées (par l'humain notamment), il est d'autant plus intéressant d'identifier les autres causes anthropiques. Les câbles en font partie, et intéressent pratiquement toutes les espèces aviaires, susceptibles de les percuter. Ainsi les estimations révèlent que dans les domaines skiables, la mortalité des tétras-lyres par percussion dans une infrastructures humaine (en majorité les câbles mais pas seulement) pouvait parfois égaler la prédation.

      À noter : le tétras-lyre n'est qu'une des nombreuses espèces d'oiseaux présentant un enjeu de conservation important. Mettre en évidence l'ampleur du phénomène et évaluer les dispositifs de visibilité est nécessaire, également par exemple pour les grands rapaces comme le Gypaète barbu.

      Impacts directs : mortalités par collision sur les câbles des infrastructures (remontées mécaniques)

      Questions à l'étude

      • Quelle est la contribution relative de la mortalité induite par les percussions dans les infrastructures sur la mortalité globale des galliformes ?
      • Existe-t-il un lien entre fréquentation humaine et le risque de percussion ?
      • Les systèmes de visualisation en place sur les câbles diminuent-ils le risque de percussion ?
      • Peut-on caractériser des configurations à risque pour les infrastructures ?

      Impacts indirects : modifications comportementales

      Questions à l'étude

      • La fréquentation humaine impose-t-elle une réponse comportementale marquée de ces espèces ? Si oui, comment se manifeste-elle dans le temps et l’espace ?
      • Quels impacts sur l’occupation de l’espace et la disponibilité en nourriture pour ces oiseaux ?

      Résultats