Retour d’expérience un an après les crues de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya
Le 2 octobre 2020, des intempéries exceptionnelles touchaient les vallées de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya. Pourquoi ces vallées ont-elles répondu si violemment aux pluies ? Pourquoi le bilan a-t-il été si catastrophique pour la société ? Une analyse collective menée par des experts du comportement des cours d’eau de l’OFB, avec l’appui de partenaires extérieurs, fournit les premiers éléments de réponses un an après l’évènement.
Comparaison du paysage fluvial de la Vésubie entre 2017 (A) et après la tempête Alex (B)
(Source : orthophotos IGN)
Un événement météorologique et hydrologique majeur
Ce 2 octobre, sous l’effet combiné de la tempête hivernale Alex formée au large de la Bretagne et d’un fort épisode méditerranéen, des pluies intenses et continues se sont abattues sur les hauteurs des Alpes-Maritimes. Dans les vallées de la Roya, de la Vésubie et de la Tinée, les cumuls de précipitations enregistrées sur 24 heures ont dépassé les records antérieurs : 340 mm à Tende (Roya), 500 mm à Saint-Martin Vésubie (Vésubie), près de 600 mm à Tournefort (Tinée) et plus de 650 mm à l’ouest de Saint-Dalmas de Tende (Roya). Cet événement exceptionnel, défini comme paroxystique par Météo France, a engendré des crues-éclairs extrêmes sur une grande partie du réseau hydrographique de ces vallées.
Carte pluviométrique du cumul maximal de pluie sur 24 h entre le 1et 3 octobre 2020 (source : Cerema)
En quelques heures, le niveau d’eau de la Vésubie (à Utelle) passe de 50 cm à plus de 8 mètres, celui de la Tinée (à Tournefort) gagne près de 7 mètres en 5 heures. Les débits dépassent toutes les références connues. D’un point de vue météorologique et hydrologique, il s’agit d’un événement d’une intensité inégalée sur ces cours d’eau.
Des vallées propices pour des crues torrentielles intenses
La pente conditionne l’énergie de l’écoulement d’une rivière, c’est-à-dire sa capacité à remobiliser et transporter des sédiments présents dans le lit ou dans la végétation présente sur les berges. La Tinée, la Vésubie et la Roya sont des cours d'eau à très forte pente, généralement supérieures à 4 % et pouvant atteindre 10 % sur de longs linéaires en amont des bassins versants.
Outre la pente, la largeur des vallées a également constitué un facteur déterminant. Les 3 vallées sont marquées par une certaine étroitesse, avec notamment de nombreux secteurs en gorge ne dépassant que rarement 50 mètres. Les cours d’eau y sont contraints latéralement et s’écoulent directement sur le « lit rocheux ». Sur ces secteurs, les possibilités de dissipation de l’énergie des eaux chargées en sédiments sont donc très réduites. À la faveur de secteurs plus évasés des vallées, cette dissipation a pu se faire, générant des dépôts de matériaux importants, qui ont favorisé à leur tour les débordements et un élargissement majeur du lit des cours d’eau.
Un bouleversement de la morphologie des cours d’eau
La Vésubie, la Tinée et la Roya sont passées d’un chenal unique étroit et sinueux avant la crue, à un réseau de bras multiples au sein d’un large espace constitué de sédiments après la crue, caractéristique des cours d’eau dits « en tresses ». D’une manière générale, les lits ont vu leur largeur multipliée par 5, voire par 10 sur certains tronçons. Ce changement résulte notamment de la très forte intensité du transport sédimentaire lors de la crue. Les rivières dissipent naturellement leur énergie en « transportant des sédiments ». En ayant beaucoup d’énergie, elles ont naturellement transporté énormément de sédiments.
Les vastes dépôts sédimentaires observés dans les fonds de vallées proviennent en partie des versants, soumis à d’intenses processus d’érosion : ravinements, effondrements et glissements de terrain. Mais ces sédiments sont surtout issus de la remobilisation des très importantes quantités d’alluvions déjà présentes dans les fonds de vallées, stabilisées sous la forêt alluviale et donc invisibles avant la crue. La mémoire de l’espace nécessaire au fonctionnement naturel du cours d’eau se perd et se redécouvre à l’occasion des crues majeures.
Les glissements de terrain ont localement contribué à accroitre la quantité de sédiments dans les fonds de vallée
(Source : orthophotos IGN).
Le 2 octobre 2020, la puissance des écoulements a rapidement “arraché” la protection végétale des versants comme des fonds de vallées, comme en témoigne l’importante quantité de bois morts observée suite à la crue, dans les rivières et jusqu’au littoral. Une fois cette végétation partie, le stock sédimentaire sous-jacent a été remobilisé.
L’importante extension latérale des lits torrentiels dans ces vallées s’est accompagnée d’une variation de l’altitude de leur fond. Sous l’effet du processus d’érosion, le lit a été fortement incisé dans les tronçons pentus ou en aval immédiat de secteurs en gorges. À l’inverse, les zones de replat, de confluences, en amont de gorges, où l’énergie de l’écoulement était moindre, ont été marquées par d’importants dépôts sédimentaires pouvant atteindre une dizaine de mètres d’épaisseur.
Confluence du Vallon d’Ullion et de la Tinée, avant (A) et après (B) la crue. On observe les importants dépôts sédimentaires.
(Source : OFB)
Un suivi mené depuis un an
L’intensité de l’événement a généré deux phénomènes exceptionnels :
- la mise en place d’un nouveau profil d’équilibre du lit des cours d’eau, modifiant totalement le paysage antérieur des fonds de vallées, en particulier pour la Vésubie et la Roya ;
- la destruction, pour tout ou partie, des infrastructures routières, réseaux, habitations et équipements, en fond de vallée et parfois sur les versants : plus de 400 sinistrés sur les 3 vallées sont éligibles au fond Barnier.
Etude des impacts hydromorphologiques
Le travail de caractérisation de ces crues et de leur impact hydromorphologique a été initié très rapidement, grâce notamment à l’étude des photos aériennes ante et post crue. Un travail historique pour comprendre l’évolution de la morphologie des rivières a également été initié. Ces travaux sont menés par l'OFB en synergie avec différents partenaires scientifiques et techniques.
Suivi des travaux de reconstruction des infrastructures
Depuis un an, près de 200 opérations ont été réalisées pour rétablir les infrastructures et réseaux. L’OFB s’est engagé auprès des services de l’Etat pour encadrer ces travaux dans ce qui est aujourd’hui le nouvel état de référence, nécessaire au bon fonctionnement des cours d’eau.
Le bilan de ce suivi est variable selon les vallées et leurs caractéristiques morphologiques, et reste très lié au type de travaux :
- dans la Roya, les infrastructures reconstruites n’ont empiété que sur une infime partie (entre 1 et 2 %) de la surface des lits occupés par la crue,
- dans la vallée de la Vésubie, cette emprise s’élève entre 6 et 12 % selon les secteurs.
Par ailleurs, les linéaires remaniés par la création de lits canalisés ou par les prélèvements de matériaux sont également différenciés selon les vallées. Ils représentent entre 15 et 76 % du linéaire des cours d’eau sur la Vésubie et entre 9 et 18 % sur la Roya.
Suivi du milieu
Un suivi dynamique des milieux s’organise, avec de nombreux partenaires locaux, sur le long terme afin de mesurer les réponses biologiques face à un événement aussi morphogène. Il vise plusieurs compartiments écologiques dont les invertébrés, les poissons, la flore, les espèces exotiques envahissantes, les oiseaux.
Des préconisations pour l'avenir
En considérant plusieurs études récentes (notamment Ribes et al., 2018 ; Fumière et al., 2020 ; Mathevet et al., 2020, Mathevet et al., 2021) dont les résultats tendent à converger vers une augmentation de l'aléa torrentiel dans cette région, l’enjeu actuel pour ces vallées repose sur 3 axes :
- concilier au mieux développement raisonné des territoires et réduction nette de leur vulnérabilité,
- maintenir un espace de bon fonctionnement autour des rivières torrentielles, facteur de résilience le plus sûr pour ces vallées,
- offrir une largeur maximale aux rivières dès que cela est possible, en conservant une quantité de sédiments suffisante et disponible, et limiter les travaux de chenalisations et d’endiguement.
Évolution de l’occupation du fond de vallée de la Vésubie, amont de Roquebillière. En 1948 (A) : prairies et pâturages. En 2017 (B), plusieurs constructions à proximité immédiate de la rivière ; elles ont été détruites lors de la crue de 2020 (C).
(Source : orthophotos IGN)
Contacts
- Gabriel Melun, spécialiste hydromorphologie et gestion sédimentaire - gabriel.melun (a) ofb.gouv.fr
- Frédérique Gerbeaud-Maulin, directrice adjointe, Direction interrégionale Paca et Corse - frederique.gerbeaud-maulin (a) ofb.gouv.fr
Aller plus loin
Le projet Life ARTISAN (site ofb.gouv.fr)
L’OFB a signé une convention de financement avec l'Union européenne, le ministère de la Transition écologique et le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales pour mettre en œuvre le projet Life intégré ARTISAN qui vise à accroître la résilience des territoires au changement climatique par l’incitation aux solutions d’adaptation fondées sur la nature.
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