Qu'est-ce qu'un estuaire ?

Les estuaires, comme les deltas, se trouvent à l'exutoire des fleuves. Soumis à de multiples influences entre l'eau douche et l'eau salée, ce sont des milieux de transition très complexes, aux fonctionnalités écologiques indispensables mais sous pression des activité humaines.

Accès rapide :  DéfinitionDes caractéristiques diversifiées / Concept du "paradoxe estuarien" (Estuarine quality paradox) / Des fonctions écologiques menacées par les activités humainesBibliographie

Définition : une zone de mélange entre le fleuve et la mer

Un estuaire représente la zone de mélange des eaux douces avec les eaux marines, se formant à l'embouchure d'un fleuve lorsqu'il se jette dans la mer. Soumis à l'influence du fleuve d'une part et de la marée d'autre part, les estuaires possèdent des caractéristiques morphologiques et hydrologiques très variables selon la dominance de l'un ou l'autre de ces forçages naturels.
Les estuaires de la façade Manche/Atlantique sont principalement dominés par la marée ce qui les différencient des deltas présents en Méditerranée dont la morphologie est majoritairement contrôlée par la dynamique du fleuve.
Généralement peu profond et de forme évasée, un estuaire est communément délimité :

  • à l'amont par la limite de pénétration de la marée dynamique (limite maximale de remontée de l’onde de marée) ;
  • à l'aval par la limite d'extension des eaux saumâtres (de salinité inférieure à 30 qui traduit la limite maximale d'influence des eaux fluviales).

L’expansion latérale d’un estuaire est délimitée par la zone de balancement des marées (ou zone intertidale). Ces milieux représentent des habitats d’un grand intérêt écologique pour de nombreuses espèces. Les zones intertidales sont dissociées en 2 étages selon leur temps d’immersion :

  • Zone intertidale supérieure majoritairement végétalisée, immergée uniquement lors de grandes marées exceptionnelles (autrement appelée le schorre) ;
  • Zone intertidale inférieure, immergée à chaque marée haute, composée de vasières "nues" (la slikke) ou de bancs de sable ou de galet avec ou sans végétation aquatique de type macro-algues intertidales, roseaux, etc.

Des caractéristiques propres aux estuaires

      Les niveaux d'eau

      Lorsque que la marée se propage de l'aval vers l'amont, les niveaux d'eau en un point donné oscillent au rythme des cycles basse mer (BM)/pleine mer (PM). Sur la base de ce critère, les estuaires se distinguent en fonction de l'amplitude du marnage (différence de hauteurs d'eau entre la BM et la PM en vive-eau) mesurée à l'embouchure, selon 4 types (Nicolas, 2010) :

      • estuaire microtidal : marnage < 1 m (non représenté sur la façade Manche/Atlantique) ;
      • estuaire mésotidal : marnage de 1 à 5 m (ex. l'estuaire de l'Adour ou ceux alimentant le Golfe du Morbihan) ;
      • estuaire macrotidal : marnage > 5 m (ex. les grands estuaires de la Seine, de la Loire et de la Gironde) ;
      • estuaire mégatidal : marnage > 8 m (terme plutôt employé pour les baies comme la baie de Somme ou du Mont-Saint-Michel).

      Le marnage n'est pas constant le long d'un estuaire : son amplitude est liée à la propagation de la marée dans l’estuaire. Cette dernière est fonction de la morphologie du système, de la rugosité des fonds et des berges (force de frottement), du coefficient de marée, du vent, des vagues et du débit du fleuve.

      La salinité

      La rencontre des eaux fluviales et marines entraîne un mélange ou à l’inverse une stratification des eaux estuariennes. En cas de stratification, les eaux douces, moins denses, circulent en surface alors que les eaux marines, plus denses, circulent au fond au rythme des marées. La rencontre de ces eaux de densité différente entraîne la formation de gradients de salinité longitudinaux et verticaux plus ou moins prononcés.
      Pritchard (1955) a défini une classification des estuaires en fonction du mode de mélange des eaux douces et salées : (1) estuaire stratifié à coin salé, (2) stratifié, (3) partiellement mélangé ou (4) bien mélangé. Les estuaires de la façade Manche/Atlantique sont principalement classés dans les estuaires partiellement mélangés. Ce sont des systèmes dominés par la marée où la force des courants de marée génère une turbulence par frottement au fond suffisante pour permettre un mélange vertical des eaux (Deloffre, 2005). Ce mélange entraîne la formation de gradients de salinité à partir desquels quatre zones aux caractéristiques halines différentes, peuvent être distinguées :

      • la zone fluviale tidale (eau douce soumise à la marée dynamique) ;
      • la zone oligohaline (salinité de 0,5 à 5) ;
      • la zone mésohaline (salinité de 5 à 18) ;
      • la zone polyhaline (salinité de 18 à 30).

      Les matières en suspension

      Les matières en suspension (MES) regroupent les matières dissoutes (ex. macromolécules de taille inférieure à 0,45 µm). Elles ont été peu étudiées dans les estuaires comparativement aux matières particulaires (ex. sédiments, débris végétaux supérieurs à 0,45 µm) (Lemoine, 2015). Ces MES sont de diverses origines : fluviales, marines, issues du ruissellement des sols ou de la production biologique intra-estuarienne.
      Dans les estuaires français, les particules sédimentaires apportées par les cours d'eau sont majoritairement des sédiments fins. Les apports marins peuvent être de nature plus diversifiée selon leur provenance (ex. sables, vases, mélange sable/vase...). Les sédiments fins peuvent s'accumuler à proximité de l'embouchure, généralement en amont de l'intrusion saline, pour former une zone de turbidité maximale, autrement appelée le "bouchon vaseux". Dans les estuaires macrotidaux, la formation et le maintien du bouchon vaseux est directement liée à la propagation de la marée qui, de manière simplifiée, remobilise à marée montante (flot) et descendante (jusant) les MES décantés pendant les étales de pleine et basse mer. La stratification d'un estuaire (décrite pour la salinité) peut également être à l'origine de ce phénomène (Deloffre, 2005).

      Les activités humaines peuvent impacter la dynamique sédimentaire estuarienne avec l'augmentation des apports entrants (rejets directs ou par érosion des sols agricoles nus) ou par la remobilisation de MES lors de dragages ou de clapages pour la navigation. Des apports excessifs en MES peuvent impacter le fonctionnement biologique, géochimique et hydro-morpho-sédimentaire d'un estuaire.

      Autres conditions environnementales

      Au-delà de la salinité et de la turbidité, l’ensemble des paramètres caractérisant le milieu (ex : les nutriments, l'oxygène dissous...) fluctue dans le temps et l’espace. Divers facteurs naturels et anthropiques influencent ces paramètres :

      • les apports entrant dans le système estuarien, en eau et en particules issus du bassin versant et du domaine côtier ;
      • divers processus intra-estuariens complexes tels que érosion et/ou dépôt des sédiments, dégradation de la matière organique, transformation et/ou stockage des nutriments ou autres substances (naturelles ou anthropogéniques), de production et/ou consommation de l’oxygène, etc. Ces processus sont, pour la majorité, contrôlés par l’activité biologique.

      Des espèces de toutes origines

      Le gradient de salinité représente une zone de stress osmotique pour les organismes. Ce gradient détermine la présence et la répartition des espèces au sein des estuaires à différents stades de leur cycle de vie. Ces espèces peuvent être fluviatiles, résidentes estuariennes, marines ou amphihalines (migratrices).

      Les espèces fluviatiles

      Elles ne tolèrent pas ou peu la salinité dans l’eau, par conséquent, leur présence se limite généralement à la zone fluviale tidale (salinité inférieure à 0,5) voire la zone oligohaline pour les plus "résistantes" (salinité comprise entre 0,5 et 5) (ex : brème, perche commune, vers oligochètes).

      Les espèces résidentes estuariennes

      Ce sont des espèces tolérantes à de larges gammes de conditions environnementales (ex : gobie tâcheté, crevette blanche, crustacés planctoniques comme Eurytemora affinis) et qui ne se trouvent pas dans d'autres types de milieux. Le nombre de taxons estuariens est relativement limité.

      Les espèces marines

      Ce sont les plus nombreuses dans les estuaires : certaines fréquentent ces mileux (ex : sole commune, bar) et d'autres vivent dans ou à proximité de l’embouchure (divers mollusques et polychètes). Les juvéniles de ces poissons marins y trouvent notamment des ressources trophiques abondantes nécessaires à leur croissance.

      Les espèces amphihalines

      Elles regroupent les espèces migratrices qui circulent entre le milieu marin et les eaux douces (la zone fluviale tidale de l'estuaire ou les rivières) pour réaliser l’ensemble de leur cycle biologique (ex : flet, mulet porc, anguille, saumon, alose). La traversée et/ou le séjour des migrateurs dans l'estuaire constituent une étape potentiellement difficile selon les obstacles rencontrés (barrages infranchissables, zones de déficit en oxygène, force des courants ou  degré de pollution trop important).

      Le risque lié aux espèces exotiques invasives

      Comme de nombreux écosystèmes, les estuaires sont sensibles à la propagation d’espèces exotiques qui peuvent être invasives (ex : moule zébrée Dreissena polymorpha, cténophore planctonique gélatineux Mnemiopsis leidyi, crustacé amphipode Caprella mutica). La présence fréquente de ports dans les estuaires, constitue des "portes d'entrée" pour les espèces exotiques. La proportion d’espèces introduites peut être importante (de l’ordre de 10 % de la richesse spécifique visible à l’œil nu) par rapport aux espèces dites "autochtones".

      Découvrir les estuaires de la façade Manche/Atlantique | Page éditoriale

      Le long de la façade Manche/Atlantique, une quarantaine d'estuaires sont présents et ont chacun leurs spécificités. Des fiches synthétiques fournissent des caractéristiques physiques de base, l'état écologique des eaux de transition défini dans le cadre de la DCE, ainsi que quelques acteurs gestionnaires et/ou scientifiques impliqués sur ces territoires.
       

      District hydrographique de la façade Manche/Atlantique (Coordination inter-estuaire, BD Carthage)

      Concept du "paradoxe estuarien" (Estuarine quality paradox)

      Il peut être résumé ainsi : les estuaires sont des milieux naturellement "stressés", peu d’espèces sont présentes (biodiversité faible) et le nombre d’espèces diminue en direction de l’amont dans le gradient de salinité. Bien que la biodiversité soit faible, le nombre d’individus par espèce est important (forte biomasse).

      Les peuplements rencontrés dans les eaux saumâtres sont dominés par des espèces relativement ubiquistes, résistantes à de fortes variabilités spatio-temporelles des conditions du milieu. Ces peuplements sont typiques des milieux à forte variabilité environnementale mais également des milieux soumis à d'importantes pressions anthropiques (Dauvin, 2007; Elliott & Quintino, 2007). Il est ainsi complexe de discerner les modifications de peuplements liées aux contraintes naturelles de celles engendrées par des activités anthropiques, via les bio-indicateurs classiquement utilisés (basés sur la diversité d’espèces, l’abondance ou les biomasses).

      Des fonctions écologiques menacées par les activités humaines

      Les milieux estuariens assurent un grand nombre de fonctions écologiques ou services écosystèmiques relatifs aux :

      • flux de matière et d'énergie : dégradation, transformation et/ou stockage des matières issues du domaine fluvial et maritime ou produites dans l'estuaire. Par exemple : la production de matière organique (énergie) par les producteurs primaires et l'efficacité de consommation de cette matière au sein du réseau trophique ou encore le "rôle de filtre" du bouchon vaseux permettant "l'épuration" des eaux ;
      • cycle de vie des espèces : fonctions de nurserie, alimentation, reproduction et refuge pour diverses espèces.

      Les estuaires et leur bassin versant sont par ailleurs des territoires très convoités par l'homme pour divers usages (agriculture, urbanisation, navigation, pêche professionnelle, etc.). Cela a eu pour conséquence, dans les cas les plus extrêmes, de fortement modifier ces écosystèmes et leur fonctionnement.
      Ces activités ont engendré, par exemple, des apports excessifs en azote entraînant une eutrophisation des eaux marines (à l’origine de blooms phytoplanctoniques et de désoxygénation du milieu) ou encore la réduction des surfaces de zones intertidales, habitats essentiels pour le développement des juvéniles de poissons.

      Bibliographie

      • Dauvin, J.-C., 2007. Paradox of estuarine quality: benthic indicators and indices, consensus or debate for the future. Marine Pollution Bulletin 55, 271–281 (pdf).
      • Deloffre J., 2005. La sédimentation fine sur les vasières intertidales en estuaires macrotidaux. Processus, quantification et modélisation de l’échelle semi-diurne à l’échelle annuelle. Thèse de doctorat, Université de Rouen (pdf).
      • Elliott, M., Quintino, V., 2007. The Estuarine Quality Paradox, Environmental Homeostasis and the difficulty of detecting anthropogenic stress in naturally stressed areas. Marine Pollution Bulletin 54, 640–645 (pdf).
      • Lemoine, J.P., 2015. Fonctionnement hydro-sédimentaire de l'estuaire de la Seine. Fascicule Seine-Aval 3.3 (pdf).
      • Nicolas, D., 2010. Des poissons sous influence ? Une analyse à large échelle des relations entre les gradients abiotiques et l'ichtyofaune des estuaires tidaux européens. Thèse de doctorat, Université de Bordeaux 1 (pdf).
      • Pritchard, D.W., 1955. Estuarine circulation patterns. Proceedings of the American Society of Civil Engineers 81, 1-11.