Le massif de Chartreuse : une charnière pour la connexion des populations de lynx jurassienne et alpine ?
Depuis la mise en place du réseau Loup-Lynx en 1990, les données de présence de lynx dans les Alpes françaises ont principalement été enregistrées de façon irrégulière, traduisant une population alpine ni stable ni pérenne. Les massifs préalpins présentent un habitat favorable pour l’espèce mais fragmenté par des fonds de vallées urbanisés. À la différence des massifs jurassien et vosgien qui possèdent de vastes entités forestières continues, la connectivité entre les massifs forestiers préalpins reste à explorer pour mieux appréhender le statut de l’espèce dans les Alpes.
H.Gléréan (ONF) &
J.Bailly (RNHC)
Un travail collectif mené sur le terrain de 2017 à 2020
Garde-technicien de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse (RNHC), Jérôme Bailly est pilote local du réseau Loup-Lynx sur le massif de la Chartreuse. Depuis 2017, avec l'aide des équipes de l'OFB, il a coordonné, traité et analysé les données du suivi par piégeage photographique collectées auprès d’une quarantaine de correspondants et observateurs répartis sur les massifs de la Chartreuse, de la chaîne de l’Epine, du Mont du Chat, de la Montagne de Parves (carte 1).
Cette continuité forestière et montagneuse est depuis longtemps suspectée d’être un corridor favorable à la dispersion des lynx en provenance du massif jurassien.
Organisé sur 4 ans, le suivi a permis de confirmer cette hypothèse mais d’autres déplacements dans le sens inverse pourraient montrer que cette région est également une limite pour une dispersion vers le Vercors ou la chaîne de Belledonne.
Cette initiative a permis de fédérer le dynamisme local pour le suivi du Lynx boréal (Lynx lynx), dont la présence est attestée depuis 1990 en Chartreuse, massif qui constitue à l’heure actuelle en France la limite méridionale de présence régulière connue pour l'espèce.
À propos du groupe local de suivi
Né dans les années 2000 avec le déploiement du réseau Loup-Lynx de l’ONCFS, le groupe local de suivi en Chartreuse s’est étoffé ces dernières années, en particulier suite aux développements de l’outil piège-photographique dont les premiers clichés avec identification individuelle par examen du patron du pelage ont été un facteur de motivation fort.
Une dizaine d’individus identifiés et leurs déplacements analysés
Dans la zone de suivi, le nombre de pièges photographiques permanents est passé de 20 en 2017 à 60 en 2020. Un dispositif qui a permis d’obtenir les données suivantes :
- 210 événements photographiques de lynx ont été enregistrés dont 173 ont permis une identification individuelle du lynx.
Sur les 4 ans de suivi, 10 lynx différents ont été détectés :
- 7 ont été repérés essentiellement sur la zone d’étude dont 5 sur des périodes inférieures à 1 an ;
- 3 individus ont effectué des déplacements entre le massif jurassien (cœur de la population française de l’espèce) et les Alpes ; l'un d'entre eux ayant fait un aller-retour entre ces deux entités après un séjour de deux ans sur la zone d’étude (carte 2). Il est intéressant de souligner que ces déplacements ont été effectués dans les deux sens, ce qui interroge quant à la possibilité pour l’espèce de franchir les obstacles vers les massifs contigus à l’est et au sud.
L’avenir du lynx dans les Alpes françaises : un enjeu de connectivité entre massifs ?
La détection en continu assurée par le réseau permet de qualifier a minima le nombre d’animaux présents sur la zone d’étude et de suivre leurs déplacements, mais elle ne permet pas de renseigner l’emprise spatiale des animaux, ni d’estimer leur densité. Pour cela, une stratégie d’échantillonnage spatiale plus poussée doit être envisagée même s’il est compliqué de déployer ces protocoles à large échelle.
L’observation en 2013 de l’individu suisse Talo (suivi par collier GPS), qui avait sillonné les deux Savoie pendant plus d’un an et demi, avait démontré qu’un lynx jurassien peut rejoindre les Alpes. Cependant, une fois parvenu en Chartreuse, rien ne prouve pour l’instant que le lynx puisse continuer sa dispersion vers les massifs alpins voisins. L’hypothèse d’un « cul de sac » serait même suggérée par le retour de certains lynx vers le Jura.
Suite à ces premiers résultats, le travail de terrain doit se poursuivre pour combler les zones d'ombre qui entourent encore la présence du lynx en Chartreuse et dans les massifs voisins. Plus largement, cela doit amener à nous interroger sur la présence et le statut de l'espèce dans les massifs des Alpes du Nord en particulier. Pour aller plus loin, il conviendrait d’organiser l’effort de prospection afin d’obtenir une quantification de type « présence-absence » et d’améliorer la surveillance des connexions avec les massifs alentours.
L’OFB souhaite encourager ce type de suivi localement dans les massifs connexes des Alpes du Nord, en apportant un soutien méthodologique et technique aux équipes de terrain.
Ce travail a été rendu possible grâce à une implication forte des agents sur le terrain et à la coordination locale.
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