Études préalables aux démarches territoriales pour la protection de la qualité de l'eau

Construire les fondements d’une démarche territoriale visant à améliorer la qualité des ressources en eau affectées par les pollutions diffuses demande la réalisation de nombreuses études préalables. Ces études apportent des éléments de compréhension sur de nombreux aspects : fonctionnement hydrogéologique, positionnement des acteurs, etc. Cette connaissance est ensuite indispensable à la construction d’un plan d’actions adapté et efficace. Des guides existent pour accompagner leur réalisation et leur pilotage. Mais comment s'y prendre, comment démarrer ? Cette page présente les grands principes des méthodes existantes ainsi que leur articulation pour appuyer une mise en oeuvre cohérente de ces études préalables.

Aperçu général des études à mener

Le schéma ci-contre permet d'avoir un aperçu général des études à réaliser pour établir un diagnostic initial. Celles-ci servent principalement à analyser :

  1. les transferts d'eau et de polluants,
  2. les acteurs et les activités.  

Le signe + indique que les études sont complémentaires.

De nombreux guides ont été produits pour diffuser les méthodes à mobiliser pour chaque étude. Ces documents apportent à la fois :

  • des éléments de cadrage à destination des gestionnaires pour les aider à concevoir leurs cahiers des charges,
  • des recommandations à destination des bureaux d’études qui réalisent les études. 

Les grands principes de ces méthodes ainsi que leur articulation sont exposés ci-après.

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Quelques recommandations avant la réalisation des études préalables

L’animateur en poste, ou le cas échéant le responsable de la démarche de protection des ressources en eau, veille à une bonne réalisation et coordination des études. Elles sont donc pilotées par la collectivité qui s’appuie sur son comité de pilotage préalablement constitué (cf. recommandations pour la mise en place de la démarche).  

Un travail préliminaire de collecte de données et d’informations (documents administratifs, études, etc.) existantes doit être réalisé par la collectivité.

Jean-Baptiste et al. (2019) recommandent de s’appuyer sur « les référents de l’Agence de l’eau, de la Direction Départementale des Territoires (DDT), de la Chambre d’agriculture, du Service régional de statistique agricole de la Direction régionale de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt (DRAAF) et de structures présentes localement, en vue d’inventorier l’ensemble des données disponibles et identifier les études déjà réalisées sur le territoire. Associer ces acteurs ressources est fortement conseillé, pour recueillir leur expertise sur les enjeux et sur les documents et données en leur possession. Des entretiens avec des personnes ressources peuvent permettre de cerner les connaissances et les compétences déjà présentes sur le territoire. Des partenariats peuvent être envisagés pour bénéficier des données centralisées par certains organismes agricoles (chambre d’agriculture, coopératives, etc). D’autres acteurs peuvent également contribuer à cet état des connaissances en fonction de leur action sur le territoire: coopératives agricoles, chercheurs, lycées agricoles, etc. ».

Concernant la mobilisation des organisations professionnelles agricoles (OPA), l’étude menée par Bouty et al. (2016) montre que leur collaboration peut être garantie par la mise en place d’une dynamique collective visant à définir des règles communes d’utilisation et de valorisation des données (à travers par exemple la production d’indicateurs de suivi et d’évaluation de l’activité de conseil).

Il est indispensable d’informer les acteurs, et en particulier les acteurs agricoles, du territoire du démarrage des études préalables. Ils sont par la suite associés aux réunions de restitution des résultats. 

Descriptif des méthodes

Études pour l’identification des types de transferts et la délimitation de l’aire d’alimentation du captage

Objectif : identifier les types de transferts pour déterminer les études à réaliser et délimiter l'aire d'alimentation de captage (AAC)

Barrez et al. (2013) ont réalisé un inventaire descriptif des processus de transferts possibles. Cette typologie a abouti à la construction d’arbres de décision pour guider le choix de méthodologie à utiliser pour le découpage de l’AAC :

  • lorsque l’infiltration directe constitue le transfert dominant => guide Vernoux et al. (2014),
  • si les écoulements de surface/subsurface sont prépondérants et l’infiltration quasi absente => guide Le Henaff et Gauroy (2011),
  • lorsque les écoulements sont mixtes (infiltration et écoulements de surface/subsurface) => guide Catalogne et al. (2014).

Le point d’entrée des arbres de décision est le mode de captation de l’eau (prises d’eau en forage ou de résurgence de source, prises d’eau de surface ou en retenue). La caractérisation hydrogéologique/hydrologique de la zone potentielle d’alimentation de captage (bassin versant topographique à hauteur du captage, bassin d’alimentation des aquifères, zone de ruissellement de sub-surface, etc.) permet ensuite de déterminer le ou les types de transferts majeurs sur le territoire. Cette information implique la collecte et capitalisation d’études existantes (locales voire régionales) et éventuellement la réalisation d’études complémentaires, impliquant une observation de terrain.

En complément :

AAC à transferts mixtes : il est recommandé de réaliser des études plus poussées pour caractériser ou confirmer plus ou moins directement l’existence de mélanges d’eau de diverses origines. Le guide de Catalogne et al. (2014) énumère plusieurs données et outils mobilisables pour cela.

Captage d’eau strictement d’origine souterraine : il est nécessaire de réaliser des études géologiques et hydrogéologiques du bassin versant souterrain visant à définir le type d'aquifère. En effet, les méthodologies de délimitation à employer dépendent de cela (cf. Vernoux et al. 2014).

Les études aboutissant à la délimitation de l’aire d’alimentation de captage doivent être réalisées pour l’ouvrage de prélèvement qui peut comporter un ou plusieurs points de prélèvement.

Pour la plupart des territoires de captages les transferts sont mixtes. Dans ces situations la délimitation de l’AAC "consistera essentiellement à bien identifier les différents compartiments contribuant à alimenter le captage puis à déterminer successivement et de proche en proche les limites de chacun d’entre eux, en partant du point de prélèvement pour remonter vers l’amont du système" (Catalogne et al. 2014). Pour chaque compartiment des critères différents devront ensuite être utilisés pour l’évaluation de la vulnérabilité. 

La phase de délimitation de l’AAC doit aussi amener les opérateurs à s’interroger sur le recueil de données pédologiques complémentaires qui permettront de préciser par la suite les possibilités de transfert dans certains secteurs.

La connaissance des types de transfert est également utile pour le diagnostic de la vulnérabilité et l’identification d’actions correctives (ou préventives) pertinentes.

Études pédologiques d'AAC

Objectif : fournir les références pédologiques pour le diagnostic des vulnérabilités et une meilleure prise en compte des sols dans le conseil agronomique

Le guide Lagacherie et al. 2021 propose des modèles types de cahiers des charges d'études pédologiques à sélectionner en fonction d’une analyse croisée de la qualité des études pédologiques anciennes éventuellement disponibles, le degré de représentativité de ces études vis-à-vis de l’AAC et la taille de l’AAC à étudier.

Les études pédologiques interviennent en complément et en appui des diagnostics de vulnérabilité et des pressions agricoles. Dans l’idéal, elles interviennent chronologiquement avant.

Les études pédologiques existantes à l'échelle des AAC sont consultables sur le portail cartographique de l'OIEau.

Diagnostic et cartographie de la vulnérabilité

Objectif : localiser les zones les plus sensibles aux transferts de contaminants vers la ressource prélevée afin d’optimiser et cibler les mesures de protection

Son articulation avec le diagnostic des pressions agricoles (et non agricoles) constitue un point crucial pour identifier et localiser les pratiques à risque sur les territoires vulnérables et déterminer quelles sont les marges de manœuvre en matière d’évolution des pratiques.

Une fois identifiés les processus de transfert (cf. Barrez et al., 2013) la vulnérabilité est évaluée à partir de critères liés au milieu et propres à chaque méthodologie :

  • Vernoux et al. (2014) proposent une méthode cadrée consistant à calculer un indice de vulnérabilité à travers une somme pondérée de critères. La méthode initiale a été révisé en 2014 suite à une étude ayant permis d’analyser des retours d’expérience d’utilisateurs (Vernoux et al. 2011). Les modifications réalisées ont visé notamment à assurer une meilleure prise en compte des relations entre eau souterraine et eau de surface.
    • Résultat : 1 carte de vulnérabilité intrinsèque globale où les paramètres de vulnérabilité sont pondérés
  • Le Hénaff et Gauroy (2011) laissent en revanche la possibilité aux experts locaux de procéder à leur propre interprétation des critères de vulnérabilité. Ceux-ci peuvent ainsi être discrétisés en plusieurs classes puis transcrits sous forme de scores ou croisés à l’aide de tableau à double entrée.
    • Résultat : ensemble de cartes de vulnérabilité définies chacune par type de risque de transfert
  • Catalogne et al. (2014) proposent d’articuler les approches préconisées pour les AAC d’eau souterraine et d’eau de surface. La méthode, basée sur le calcul de l’IDPR, évalue la vulnérabilité pour cinq types de transfert hydrique : le ruissellement et ses déclinaisons (ruissellement hortonien et ruissellement par saturation), le drainage artificiel, les écoulements hypodermiques dans le sol et l’infiltration profonde vers les nappes. Catalogne et al. (2016) développent ensuite cette méthode pour évaluer les incertitudes des résultats obtenues, liées à l’incertitude sur les données disponibles.
    • Résultat : 6 cartes de vulnérabilité pour chaque type de risque de transfert

Diagnostic des éléments du paysage

Objectifs : mieux prendre en compte la diversité agro-pédo-climatiques des territoires et revisiter les territoires ruraux qui peuvent nécessiter des réaménagements structurants

Les études de vulnérabilités peuvent être complétées par des diagnostics rivulaires.
La méthode Gril et al., 2010 facilite la réalisation de diagnostics des différentes infrastructures des paysages et des chemins de l’eau dans les territoires agricoles.

Ces éléments doivent permettre par la suite d’optimiser les dispositifs tampons existant au sein d’un bassin versant et de proposer des dispositifs complémentaires.

Pour aller plus loin :

Diagnostic des zones tampons en place et préconisations : Sur les secteurs identifiés comme les plus vulnérables et pour lesquels le recours aux zones tampons constitue une solution pertinente (secteurs où les transferts superficiels prédominent), une seconde étape de diagnostic est nécessaire pour faire l’état des lieux des dispositifs tampons déjà existants ou des éléments du paysage pouvant jouer ce rôle. Ce diagnostic doit permettre de formuler un certain nombre de recommandations pour déterminer les améliorations à apporter pour optimiser l’efficacité des dispositifs existants, voire proposer de nouveaux aménagements pour renforcer la protection des milieux aquatiques récepteurs.

BV Service : cet outil Web permet d'établir une représentation spatialisée des parcelles à risque de transfert, à identifier les infrastructures paysagères linéaires existantes les plus efficaces pour limiter ces transferts et à localiser les limites de parcelles à équiper. Il est basé sur une représentation géomatique des chemins de l’eau et sur une simulation des flux de transfert d’eau par ruissellement. Il peut être utilisé pour établir un diagnostic mais aussi des scénarios de gestion du paysage (création de haies sur talus, bandes enherbées, fossés, obstacles divers).

Méthode de diagnostic et de recommandations de gestion des réseaux de fossés agricoles infiltrants (Dagès et al. 2016) : vise à analyser le potentiel des fossés infiltrants pour réduire la contamination des masses d’eau par les pesticides. Une fois délimitée le réseau de fossés, les différents tronçons sont classés selon une typologie établie. Ces éléments permettent ensuite de dresser un diagnostic du risque de contamination.

BUVARD (BUffer strip runoff Attenuation and pesticide Retention Design tool) : outil de dimensionnement des bandes tampons végétalisées. Une application Web a été développé pour faciliter son utilisation. 

Diagnostic territorial sociologique des enjeux et acteurs (DTSEA)

Objectif : identifier un « territoire fonctionnel » pour le déploiement d’un projet et acquérir une représentation stratégique des jeux d’acteurs

Articulé aux autres études, le DTSEA doit aider le porteur de projet à se saisir d’éléments de connaissance favorables à l’ancrage du projet dans les territoires. La démarche est conçue de façon à intégrer une pluralité de méthodes et d’outils mobilisés par les sciences humaines et sociales susceptible d’accompagner l’action territoriale.

L’esprit de la démarche est présenté dans la publication Loupsans et Mettoux-Petchimoutou, 2019.

La réalisation d’un DTSEA lorsque le projet est déjà enclenché perd de son sens et peut même le dévier de ses intentions premières (orienter la conduite d’un projet, impulser une dynamique territoriale, développer la participation, etc.).

Pour accompagner au mieux la mise en place d’un plan d’action sur une AAC, le DTSEA doit, dans l’idéal, être envisagé après la délimitation du territoire mais avant ou concomitamment la mise en place des diagnostics techniques pour que les deux types de diagnostics s’articulent et que les objectifs auxquels ils entendent répondre se complètent.

Diagnostic territorial des pressions et émissions agricoles (DTPEA)

Objectifs : décrire la diversité des situations culturales d’une AAC, évaluer les pressions, et, si possible, les émissions de nitrates et pesticides générées.

Le guide (Jean-Baptiste et al. 2019) appuie la réalisation de ce diagnostic. Il présente aux collectivités territoriales, maîtres d’ouvrage de ces diagnostics, des recommandations pour le pilotage de la démarche. Le guide met notamment en avant l’importance de la participation des acteurs agricoles afin d’assurer un climat favorable au dialogue. Il contient également des retours d’expériences d’application de la méthode.

Pour décrire les situations culturales plusieurs informations sont collectées, en combinant :

  • les informations centralisées et formalisées, contenues dans des bases de données fiables ou des documents produits localement,
  • les informations non formalisées mais détenues par des personnes « ressources », ayant une bonne connaissance des pratiques culturales des agriculteurs,
  • les informations obtenues par enquêtes auprès des agriculteurs (individuellement ou en groupe lors de réunions).

Ces informations portent sur :

  • les sols et le climat,
  • les successions culturales,
  • les interventions culturales déterminantes sur les cultures et les intercultures,
  • les pratiques influençant la circulation de l’eau au sein du champ cultivé, par ruissellement vers les eaux de surface ou par infiltration, notamment les pratiques de travail et de couverture du sol,
  • l’état des champs cultivés.

Ce diagnostic est inclus dans un diagnostic global des pressions comprenant les pollutions ponctuelles agricoles et les pollutions non agricoles.

Il s'agit bien de qualifier les pratiques au regard des émissions de polluants qu’elles génèrent et non de vérifier la conformité des pratiques observées avec les « bonnes pratiques », la réglementation ou le conseil.

Pour élaborer le DTPEA il est important au préalable de bien connaître le contexte agricole et les dynamiques en cours (situation socio-économique des exploitations, niveau d’intégration vis-à-vis de l’AAC, etc.). Plusieurs outils issus de la recherche peuvent être mobilisés pour réaliser cette analyse préalable, décrits dans Juan et al. 2018 : méthode du diagnostic agraire (Cochet et Devienne, 2006 et Mabon et al. 2009), méthode d’analyse des réseaux de pairs (Compagnone et Hellec, 2015), outils d’analyse territorialisée des parcellaires des exploitations agricoles concernées par une AAC (Durpoix et Barataud, 2014), etc.

Et ensuite ?

Une fois terminées, les résultats des différentes études font l’objet d’une analyse croisée qui peut éventuellement aboutir à une zonification du territoire (en fonction du type de milieu, des pressions qui s’y exerce, du contexte socio-économique, etc.) afin de différencier l’intervention de la collectivité. Ce travail fait partie de l’étape consistant à établir une démarche territoriale pour la protection de ressources en eau. La définition des actions les plus adaptés au contexte local peut impliquer la participation des propres acteurs du territoire qui auront à les mettre en œuvre.