L'analyse acoustique, une technique innovante pour l'étude de la biodiversité

La surveillance de la faune s'est considérablement améliorée ces dernières années, grâce au développement et à l'introduction de nouvelles technologies (télédétection, piégeage photographique, analyse ADN...). Parmi ces technologies de pointe, l'utilisation d'enregistreurs acoustiques automatisés, en tant qu'outils de suivi de la faune et de la biodiversité sur le long terme, a considérablement augmenté ces dernières années. L'utilisation de la bio et de l'écoacoustique ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche écologique et la conservation des espèces en fournissant un échantillonnage spatio-temporel beaucoup plus étendu et précis.

Image
Enregistreur acoustique autonome installé dans le massif du Haut-Giffre pour le suivi des paysages sonores d'altitude (Frédéric Sèbe, Université Jean Monet, 42)

Comprendre la bioacoustique et l'écoacoustique

Le principe : analyser les sons et en extraire les informations acoustiques pour mieux comprendre notre environnement

La bioacoustique et l'écoacoustique sont des disciplines qui utilisent les sons pour étudier et analyser la biodiversité. Bien que ces deux approches travaillent à des échelles différentes, toutes deux reposent sur l'utilisation des enregistrements sonores pour comprendre les interactions entre les espèces et les écosystèmes. Le principe consiste à poser des enregistreurs autonomes selon un plan d’échantillonnage défini, puis à analyser les sons enregistrés pour en extraire les informations acoustiques pertinentes en réponse à une problématique.

Image
Troglodyte mignon en plein chant (Lucille Billon, OFB)

Cette analyse des signaux acoustiques permet par exemple de déterminer les espèces présentes, d'identifier les individus, de découvrir de nouveaux aspects de leurs comportements, ou d’étudier la dynamique de leurs activités.

De plus en plus de gestionnaires d’espaces naturels utilisent les signaux acoustiques comme indicateurs de l'état des populations et de leurs habitats, mais également pour la gestion et la conservation d’espèces.

Aller plus loin : Aubin, T., & Mathevon, N. (Eds.). 2020. Coding strategies in vertebrate acoustic communication (Vol. 7). Springer Nature.

    Définitions

    • La bioacoustique analyse la production, la transmission et la réception des sons par les organismes vivants et ces travaux se concentrent plus spécifiquement sur la détection/identification d’espèces voire des individus.
    • L’écoacoustique est une discipline récente qui étudie les sons produits par un écosystème comme indicateur de processus écologiques, et couvre ainsi un plus large spectre d’échelles d’analyse.

    La forêt du Risoux sur écoute, Parc régional du Haut Jura, Biophonia (soundcloud.com)

    Différentes échelles

    L’analyse des sons peut être mobilisée à différente échelles :

    • de l’individu, par exemple étudier le comportement acoustique d’un rouge gorge,
    • à l’espèce ou la communauté,
    • à l’écosystème,
    • jusqu’à analyser des paysages, par exemple décrire la richesse sonore d’une forêt du Jura.

    En effet, à plus large échelle l’enregistrement des paysages sonores sur de grands espaces et de longues périodes permet de traiter des questions fondamentales en écologie. La prise en compte des sons environnementaux au niveau global et systémique d’un écosystème ouvre de nouveaux champs de recherche et d’application.

    Aller plus loin : Sueur J, Farina A (2015) – Ecoacoustics: the ecological investigation and interpretation of environmental sound. Biosemiotics.

    Quels avantages pour analyser la biodiversité ?

    Les différentes échelles et utilisations possibles des informations acoustiques révèlent de multiples avantages et applications. Le premier atout de cette technique innovante est qu'elle permet une surveillance non-invasive.
     

    Des enregistreurs autonomes pour garantir la discrétion

    Image
    Enregistreur acoustique autonome installé dans la station de ski de Flaine pour le suivi de la population de lagopèdes alpins (Frédéric Sèbe, Université Jean Monet, 42)

    Les nouvelle génération d'enregistreurs acoustiques passifs et autonomes permettent de surveiller les espèces sans les déranger, ce qui est particulièrement utile pour les espèces sensibles ou menacées.
    Ils sont ainsi installés et laissés en place, pour collecter des données sans intervention humaine, réduisant ainsi l'impact sur les habitats naturels.

    Des études comportementales

    Image
    Enregistrement au micro directionnel de lagopèdes alpins en Haute-Savoie pour étudier leur signature individuelle (Bertrand Muffat-Joly, OFB)

    La communication acoustique entre congénères est un facteur essentiel à prendre en compte pour l’analyse et la compréhension du comportement animal. En effet, les signaux de communication acoustique jouent un rôle particulièrement important dans le transfert et l’échange d’informations intraspécifiques chez de nombreuses espèces.

    D’un point de vue biologique, des signaux acoustiques sont présents dans la plupart des comportements des animaux : appartenance spécifique, recherche du partenaire sexuel, du jeune ou du parent, territorialité, localisation des individus, avertissement de dangers et interactions sociales.

    L'étude des vocalisations permet ainsi de mieux comprendre les comportements sociaux et reproducteurs des espèces, et d'observer comment les espèces interagissent entre elles et avec leur environnement.

    Aller plus loin : Mathevon, N. (Eds.). 2021. Les animaux parlent : Sachons les écouter. Humensciences.

    Identification des individus et des espèces

    De nombreuses espèces ont des vocalisations qui présentent des caractéristiques spécifiques et individuelles. Ces informations codées dans leurs vocalisations peuvent être utilisées pour déterminer les espèces et identifier les individus, même lorsque ces derniers ne sont pas visibles ou difficiles à observer directement.

    L'analyse et l'utilisation des signaux acoustiques permettent donc de rendre de nombreux services, tels que la détection et l'inventaire des espèces, l'estimation des effectifs, l'étude de la dynamique des populations, ainsi que la gestion et la conservation de nombreuses espèces de gibier et/ou d'intérêt patrimonial.

    Aller plus loin : Sèbe, F. 2012. La bioacoustique : un outil d’avenir pour le suivi et la gestion des espèces animales. Faune sauvage. n° 295 : 4-7.

    Analyse des paysages sonores

    À plus large échelle, passant de l’individu à la population, la communauté ou le paysage, l’enregistrement des paysages sonores sur de grands espaces et de longues périodes permet de traiter des questions fondamentales en écologie. Les paysages sonores peuvent être décrits selon 3 grandes composantes :

    • Image
      Ambiance en lisière de forêt au printemps (Philippe Massit, OFB)
      la biophonie, pour les sons produits par les êtres vivants,
    • la technophonie pour les sons produits par les machines,
    • et la géophonie pour les sons produits par des phénomènes climatiques ou géologiques (vent, rivières…).

    La richesse des paysages sonores et la répartition des sons entre ces 3 composantes sont de réels indicateurs écologiques de notre environnement et peuvent refléter la santé et la diversité des écosystèmes. Un paysage sonore riche et diversifié est souvent associé à une biodiversité élevée. Les changements dans les paysages sonores peuvent ainsi nous renseigner sur l’impact des changement globaux et nous indiquer des perturbations écologiques, comme la déforestation, la pollution ou les changements climatiques.

    Aller plus loin : présentation du projet Sonosylva, visant à caractériser le paysage sonore dans les forêts des espaces protégés de France hexagonale.

    Suivi à long terme

    Image
    Enregistreur acoustique autonome installé dans le parc naturel du Haut Jura pour étudier l'évolution du paysage sonore de ces forêts sous l'effet du changement climatique (Frédéric Sèbe, Université Jean Monet, 42)

    Les enregistreurs acoustiques autonomes peuvent être déployés avec un échantillonnage spatial et temporel étendu. En enregistrant les paysages sonores sur de longues périodes, l'écoacoustique permet de détecter les tendances et les changements à long terme dans les populations animales, la composition des communautés, la santé des écosystèmes et l'évolution des paysages sonores. Les sons enregistrés peuvent révéler des changements dans l'environnement, tels que des variations dans l'activité des espèces en réponse aux saisons, aux perturbations humaines ou aux effets du changement climatique.

    Aller plus loin : présentation du projet dB Risoux, étude de l’évolution du paysage sonore durant 15 années dans une forêt du Parc régional du Haut Jura

    Évaluation de l'impact anthropique

    L'analyse des signaux sonores est un outil clé pour évaluer l'impact anthropique car les sons produits par les activités humaines, comme le trafic, la construction ou les loisirs, sont une source importante de pollution et peuvent perturber les écosystèmes en modifiant les modalités de communication, de reproduction, et de déplacement des espèces. Ainsi l'augmentation des bruits anthropiques peut indiquer une dégradation du paysage sonore et, par conséquent, une altération de l'écosystème. En analysant les paysages sonores, on peut détecter, quantifier et évaluer l'impact des activités anthropiques sur la biodiversité et la santé des écosystèmes, permettant de mieux comprendre et atténuer les effets des activités humaines sur la nature.

    Aller plus loin

    Fonctionnement et protocoles

    Image
    Cabine acoustique proposant une immersion sonore dans les fonds marins du sanctuaire Agoa (Julie Gourvès, OFB)

    Un échantillonnage spatio-temporel dans différents milieux

    Grâce aux avancées technologiques et techniques, les enregistreurs acoustiques autonomes sont devenus accessibles, légers et très résistants aux éléments météorologiques tout en ayant une bonne qualité d'enregistrement et sont maintenant déployables dans de nombreux milieux aquatiques et terrestres. Le paramétrage fin des horaires d’enregistrements, combiné aux progrès, permet d'enregistrer de grandes quantités de données acoustiques sur de longues périodes et de déployer des campagnes d’enregistrements avec un échantillonnage spatio-temporel étendu.

    Aller plus loin : présentation du projet Interreg Cari’Mam (Caribbean Marine Mammals Preservation Network) dont l’objectif est d’étudier les mammifères marins présents dans les Caraïbes, par un réseau d’hydrophones.

    Image
     Grand murin (Myotis myotis) en vol à la fin de l'été, période du rut (Philippe Massit)

    Automatisation et technologie

    Compte tenu du développement des moyens informatiques et des problématiques scientifiques, les enregistreurs sonores ont vu leurs capacités d’enregistrement augmenter et l’échantillonnage temporel et spatial des données est de plus en plus conséquent. Afin de contenir cette charge informationnelle, l’automatisation d’un certain nombre de tâches est nécessaire. Plusieurs organismes mènent ainsi des projets de détection, discrimination et classification automatique des vocalisations via des méthodes d’intelligence artificielle (Machine Learning et Deep Learning).

    Aller plus loin : plateforme d’analyse des cris de chauves-souris et de science participative Vigie-Chiro

    Les enjeux pour le futur

    • Les enjeux principaux des différents projets de suivi acoustique sont la standardisation des protocoles et des analyses via la mise en place de protocole nationaux et le développement et partage d’outils standardisé.
    • L’enjeu des différents projets de suivi acoustique est également la mise en place de plateformes numériques permettant le stockage, l’archivage, la mise en réseaux et l’analyse des enregistrements acoustiques, à moindre coût écologique. Une telle plateforme facilitera la mise en place d’un environnement efficace pour l’OFB, favorable au partage, et véritable catalyseur pour la création d’une communauté proactive et impliquée et une meilleure coordination des actions et partenariats.

    Sensibilisation et formation

    Image
    Prise de mesures sur le terrain lors d'un stage de formation en bioacoustique (Frédéric Sèbe, Université Jean Monet, 42)

    En donnant une voix aux écosystèmes, l’écoacoustique est un outil puissant pour éveiller la conscience publique, pour l'éducation et encourager la protection de la biodiversité. Ils peuvent être utilisés dans les écoles, les musées, ou lors d'événements publics pour illustrer la diversité des écosystèmes et les menaces qui pèsent sur eux. Écouter les sons de la nature permet d'entendre la diversité des écosystèmes, de montrer comment les bruits anthropiques perturbent la faune, et de rendre la perception de la biodiversité plus accessible. De plus, elle encourage la participation citoyenne à travers la science participative et facilite la diffusion des résultats, renforçant ainsi la sensibilisation et l'engagement pour la conservation.

    Plusieurs formations scientifiques et professionnalisantes existent en France et à l’étranger.

    • À l’université de Saint-Etienne en lien avec le laboratoire Enes, la recherche et la formation sont intégrées à travers trois programmes spécialisés en bio et écoacoustique, incluant une école d'hiver (Bioacoustics Winter School), un master international (Master international de bioacoustique MoBi), et un stage immersif en bioacoustique tropicale (École de bioacoustique tropicale).
    • Des bureaux d’étude, comme Biophonia qui propose également des formations adaptées aux gestionnaires de la nature.

     

    Contact

    Frédéric Sèbe (OFB) : frederic.sebe (a) ofb.gouv.fr

    En un clin d'œil : toute la bibliographie et les projets

    Documents

    Projets

    • Sonosylva, caractériser le paysage sonore dans les forêts des espaces protégés de France hexagonale
    • Vigie-Chiro, plateforme d’analyse des cris de chauves-souris et de science participative
    • Interreg Cari’Mam (Caribbean Marine Mammals Preservation Network), étudier les mammifères marins présents dans les Caraïbes, par un réseau d’hydrophones
    • Acoucen, modélisation et projection des impacts de l’anthropocène sur les paysages sonores
    • dB Risoux, étude de l’évolution du paysage sonore durant 15 années dans une forêt du Parc régional du Haut Jura

    À venir : des retours d'expériences